" La découverte par le corps, ça vous parle ? "

Dans la cour des grands ce coup-ci! À l'Espe de Grenoble, le lieu de formation des professeurs en devenir. Pour la première fois, des adultes ont foulé notre Parcours Sensoriel et Moteur, dans le cadre de la semaine « Art et Culture » de l'école. Le but : leur ouvrir une porte sur l'univers artistique, et semer les graines d'un désir de coopération entre professeurs et artistes.

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« - T'as senti quoi toi ?
- quand j'étais sur les espèces de boudins tout mous, j'ai cru vraiment que j'allais tomber !
- Les boudins tout mous ? Ah ouais ? Moi c'était sur les planchers...
- Ah oui c'est vrai aussi, et avec le bruit là...
- blablablablablablabla.... »

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Ils sont bavards ces futurs prof ! Aller, pas le choix, il faut bien leur dire que l'absence de parole, c'est bien aussi.

« Le silence, c'est ce qui va vous permettre de mieux sentir, et de chercher à communiquer avec votre corps. Si vous avez besoin de passer, que quelqu'un est sur votre passage, faites lui comprendre autrement qu'avec les mots. Et ce que vous traversez là, gardez le pour vous, savourez, vous aurez tout le temps d'échanger plus tard... C'est ce qu'on appelle « l'espace du non verbal », qui nous intéresse tout particulièrement dans notre travail artistique. »

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Chaque année durant une semaine, l'Espe se transforme sous le coup de la baguette magique de Dominique Commeignes (en plus d'un paquet d'heures de boulot). Dominique était professeure d'EPS, puis elle a quitté les classes pour devenir formatrice à l'Espe, professeure de danse, et chargée de mission “arts et culture” dans l'Académie de Grenoble.

Cette semaine là, l'Ecole des professeurs devient, pense et respire alors culture. L'établissement accueille des spectacles, des conférences et des ateliers, autour de pratiques artistiques et de réflexions qui touchent à l'intégration de cette vaste « culture » dans la pratique professionnelle des professeurs.

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Toute une semaine durant laquelle les étudiants découvrent la danse, le cirque, le théâtre, l'architecture, la musique, le chant, la photographie, les arts plastiques, la littérature jeunesse et la poésie. Tout une semaine guidée par cet adage de J.C Lallias :

« Tous les enfants ne sont pas égaux devant la culture. L’École a le devoir d’agir pour compenser efficacement l’injustice des inégalités sociales. Parce que les attitudes culturelles s’acquièrent dès le plus jeune âge, l’École de la République doit offrir à chaque enfant l’accès non seulement à l’héritage culturel commun, mais aussi à l’acte de création. »

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Voilà donc où nous mettons nos bottes de marin. Direction la salle de danse, où nous avons installé la veille le Parcours Sensoriel et Moteur, ainsi que l’espace de la Sieste acoustique, où la seule consigne est de se laisser bercer par les sons de la carte postale sonore. Et en silence.

Nous aurons un groupe pour l'atelier du matin, un deuxième pour l'atelier de l'après midi. Une heure à chaque fois, pas de temps à perdre donc dans les transitions !

«-C'est ici la Compagnie Infusion ?
-c'est ici, bienvenue ! »

Tout le monde est là, on peut commencer. Nous invitons les 16 étudiants à pénétrer dans l'espace de la sieste acoustique, où nous leur donnons quelques détails sur l'aventure qu'ils s’apprêtent à vivre. « Traversée en mer […] pieds nus […] gilet de sauvetage […] silence »

Ainsi que quelques mots d'introduction à ce qu'on cherche à leur faire découvrir, sans trop en dire, pour ne pas les enfermer dans une injonction à ressentir telle ou telle sensation : « toutes les deux, on a traversé l'Atlantique à la voile. On s'est alors retrouvées entourées d'eau et d'horizon pendant des heures, des jours, plusieurs semaines. Et avec parfois qu'une seule chose à faire : observer ce qu'il y avait autour de nous. Et c'est là qu'on a redécouvert ce qu'on croyait connaître : notre environnement. Mais par un autre chemin : celui du corps ».

Silence.

« - Ca vous parle cette découverte par le corps ?
-Mmmm...
-Bon, l'idée n'est pas d'en parler plus que ça, on va vous laisser vivre cette expérience d'une traversée en mer, et on parlera après.

Il est déjà '7, on avait prévu de terminer l'introduction à '6, on va se mettre dans le jus là ! Faut y aller, sans brusquer...

Pendant qu'un demi groupe fait la sieste (acoustique), bien serrés sur leur petite embarcation…

…l'autre groupe va se vêtir. Nous allons les chercher chacun leur tour. Ils vivront l'expérience en solitaire et exploreront et trouveront leur propre chemin de corps.

Le groupe une fois réunis, on les invite à choisir un binôme. Là, la ligne de vie n'est plus le bout (cordage des bateaux) mais la main d’un partenaire. Sans parole toujours, on les invite à écouter le corps de l'autre.

Pour l’accompagnant, l’enjeu ici est de trouver comment créer un espace pour son partenaire, sans le tirer, ni l’assister. Juste le suivre et l’accompagner. L’énergie de l’autre, vous pouvez être sûr qu’elle arrive : il marche ! Donc l’idée, c’est juste de la saisir au vol et à chaque instant.

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Puis nous passons à l'étape Oeuvre collective. « Toutes les deux, nous sommes vos regards extérieurs, et vous, vous êtes les artistes. Vous aurez une seule chose à faire, mais il faut la faire à fond. C'est comme ça que l'oeuvre sera belle : jouez sérieusement ».

Nous appelons le vent, les embruns, l'accompagnant, l'accompagné et le veilleur qui a pour rôle de remettre en place le parcours lorsque c'est nécessaire.

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Il est '54, il est temps. Nous invitons les étudiants à rejoindre l'embarcation de la conclusion.

“ C'était beau à voir, merci. Moi si je vais voir un spectacle, je suis contente, franchement j'en ai pour mon argent ! Parce que, ce que vous avez traversé là, c'est exactement l'état de présence qu'on cherche dans le travail artistique, et notamment sur scène. Ce n'est pas toujours confortable, c'est clair, il y a des moment de déséquilibre, de peur, d'inconfort... ”

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“ Dans cet état là, il y a une tension entre une forme d'urgence (celle d'accomplir un acte), et une délicatesse aussi (quand vous avez les yeux bandés, impossible de faire autrement que d'être délicat). Sans la vue et la parole qui dominent généralement notre rapport au monde, un nouvel espace, non-verbal, s’ouvre.

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“ C'est cet espace là qu'on vient chercher dans notre travail, et notre enjeu aujourd'hui était d'ouvrir cet espace d'expérimentation. Qu'on veuille ou non aller sur scène, pour nous, partager cet état de présence de l'instant (qu'on cherche plus qu'on ne le trouve), c'est la plus belle chose qu'on puisse partager ».

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Pile. Il est l'heure. Sur le chemin du déjeuner partagé avec les formateurs et les autres intervenants, on fourmille déjà d'envie et d'idées pour la suite. « Des citations sur le silence, qu'on pourrait leur glisser dans la main dès qu'il y a besoin […] nous mêmes en silence au maximum […] un sas de décompression avant l'oeuvre collective […] regarder le chemin des autres […] lien entre le Parcours Sensoriel et l'art, sans trop intellectualiser […] pont entre le vécu et l'art […]... »

Des réflexions qu'on peut partager à chaud avec les professeurs des professeurs, avant le deuxième atelier.

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« Le parcours sensoriel est un outil pour expérimenter notre démarche artistique, un espace où on ouvre ses sens, pour être dans un autre rapport au monde. Avec ce dispositif, on plonge directement, et malgré soi, dans le temps de l’urgence, où l’on réagit plus qu’on ne construit”, explique-t-on à Pascal, un formateur EPS qui a participé à notre atelier. Il répond :

“- C'est une forme de mise en danger pour eux, ils sortent là de leur zone de confort, et sachez une chose, c'est que les étudiants de l'Espe sont rarement très à l'aise avec leur corps...
- Pour nous, aucun problème de ce côté là, au contraire ! On ne cherche pas des experts. La fragilité d’une personne sur ce type de dispositif est une force, parce qu’elle nous montre un chemin qu’on n’aurait jamais pris. On ne veut pas qu'ils cherchent à faire « bien ».
- Oui, mais c'est leur truc ça, bienvenue chez les profs ! Ils veulent faire bien, c'est inscrit dans ce qu'ils sont…
- Et nous, ce qu'on cherche, ce sont des corps indisciplinés. C'est-à-dire des corps insoumis, et en même temps concentrés, des corps qui trouvent leur chemin, unique, et forcement juste.
- oui, c'est vrai que pendant le Parcours il n'y pas de temps ni d'espace pour penser à autre chose. On est à 100% dans ce qu’on fabrique, forcément !

La journée file, et on repart avec l'envie de penser une progression d'ateliers, pour donner à goûter et à savourer cet état de présence au monde permis par le corps. Le chantier est ouvert.

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