Ginette

Tourner un film à l’Ehpad de Crémieu, avec les résident·e·s comme danseur·euses et comédien·ne·s :
un beau défi, qu’on a relevé entre mai et août 2023.

 

Juin 2022

- Cette année on vous propose de faire un film avec les résidentes et les résidents. Un vrai film, où ils et elles seront danseur·euse·s, chanteur·euse·s et comédien·ne·s.
- Super, je vous fais confiance les filles.
- Cooooool :)”

Aller, alors, heu… Rim, animatrice de l’Ehpad a donné son feu vert. Donc. Comment on va faire ça…? Hum. Alors. De quoi ça va parler ? Comment on va tourner ça ? Combien de temps ? Concrètement comment on va s’organiser ? Nous, on est dedans ? On fait appel à d’autres artistes pro ?

Etape 1 : ce qu’on veut “dire”

Novembre 2022

“- Nous sommes toutes et tous condamné·e·s, en vieillissant, à être exclu·e de la vie.
- Mais Dédé ! Mais non quoi ! Pourquoi vous dites ça ?!”
 

Une discussion accoudées au comptoir d’un café qui nous a fait gamberger…

Merde. Elle a raison Dédé. On a créé des espaces de concentration de vieilles et de vieux en dehors de la vie qui court. On parle de personnes actives, et quand on arrive à la retraite on devient quoi ? Passives ? Et, une insulte ne devient-elle pas plus virulente lorsqu’on y ajoute de l’âge ? Vieux con, vieille pimbêche… Ce qui est vieux ne désigne-t-il pas aussi ce qui est hors d’usage et qui ne sert plus à rien ? “Des vieux papiers”...

“- Fanny ?
- Oui ?
- J’ai écrit une petite intro d’intention, écoute :

“Nous vieillissons. Au 1er janvier 2019, 20 % de la population en France a 65 ans ou plus. En 2070, nous serons 28,7 %, selon des prévisions de l’Insee. Quant aux plus de 75 ans, ils et elles représentent 9,3% de la population en 2020, et en représenteront 17,9% en 2070.

Alors que vous êtes en train de calculer l’âge que vous aurez peut-être alors, certains et certaines subissent des actes de maltraitance en Ehpad, qui parfois éclatent en scandale. D’autres encore - alors que vous avez pu réaliser que oui, vous ne serez plus tout·e jeune ! - sont en train de devenir une charge pour leurs enfants et développent un sentiment d’inutilité profonde ainsi que des signes de dépression. Les plus de 65 ans sont d’ailleurs la part de la population française la plus touchée par le suicide”.

Hum. Chouette. Joyeux. Il va être sympa le film. Fanny réagit :

“ Flore. Je m’ennuie à t’écouter ! Tous ces mots, ces chiffres… C’est horrible ! Parce que le pire dans tout àas, c’est que la fragilité, on en manque !! Bassinbouzouk ! Cette présence au monde, cette sensibilité extrême que peut apporter le fait de vieillir, de devenir fragile, mais merde quoi ! C’est beau ! On en manque cruellement !! Moi je vais crever de pas avoir la place d’être fragile, j’te jure”.

C’était le coup de gueule de Fanny.

Mais sans rire, je suis d’accord avec elle. Bassinbouzouk ! On va s’atteler à faire une place à cette fragilité, à l’affirmer et à la laisser exister. “Au cul au cul aucune hésitation ! Non non non à la précarité oui oui oui aux salaires augmentés !

Heu calme toi… Et ça n’a rien à voir avec le sujet.

Donc. Ce film parlera des femmes, d’une femme, d’une femme âgée, de sa place dans la société, de ce que ça lui fait de vieillir, de ce qu’elle garde en elle des âges qu’elle a traversés. Des choses qui la contraignent. De ses manques. De ses désirs. De sa liberté.


Etape 2 : repérages, écriture du film, calendrier de tournage

Février 2023. Nous voilà à l’Ehpad.
Nous voilà dans l’unité pour les personnes souffrant de la maladie d’Alzheimer.
Nous voilà avec Ginette.
C’est elle. Evidemment c’est elle. Une présence de ouf, une disponibilité incroyable, des éclats de rire sincères, une mobilité de corps magnifique…

Alors, Rim”.

Armée de son stylo, elle est prête.

On prévoit 7 séquences, avec Ginette en personnage principal, et toustes les résident·e·s qui le souhaitent sont les bienvenu·e·s. Ce serait chouette d’être au moins 15 ou 20. On tournera des choses écrites avec elles et eux, et puis on traînera dans les couloirs aussi. Il y aura également les soignantes dans le film, on aimerait travailler spécifiquement avec un petit groupe pendant 1 matinée. Et toi bien sûr. Ainsi qu’Alya, ta fille. Elle incarnera Ginette à 13 ans. On propose des sessions collectives, ouvertes, et puis des moments de travail en petits groupes en fonction des besoins du film. Parfois juste avec Ginette. On voudrait tourner une des séquences un jour de marché, on voudrait faire une manif, on voudrait bien dormir à l’Ehpad pour tourner aussi la nuit, et pouvoir aller boire des tisanes avec Yvonne. On sera là à partir de fin mai, et jusque fin juillet. Et puis on revient en septembre pour présenter le film, et puis on va travailler à une diffusion un peu plus large. Tout bon pour toi ?


Étape 3 : rassembler un équipage digne de ce nom

Nouvelle aventure, nouvel équipage :) Nina Harper sera le regard chorégraphique ; Claudia Flammin, danseuse, incarnera Ginette à 50 ans ; Marlène Hémont concevra les costumes des Ginettes et des autres résident·e·s ; Jonathan Argemi viendra pour ses lumières au moment voulu ; Renaud Menoud sera là pour une session de photos, et pour faire l’affiche.

… et yahla !

Youpi :) mêlé de “glaglagla”. On est fin mai 2023. C’est le moment.

 
 

On adopte le rythme des résident·e·s et on remarque qu’en suivant leurs vagues d’énérgie, on va plus loin dans le travail. Et même, on découvre la richesse de la lenteur et la magie de la fragilité. Ouais, là, on laisse la chance à la fragilité de pousser. C’est beau.

L’aventure est ouverte, à celles et ceux qui s’engagent pour la totalité, aux curieuses et aux curieux d’un jour, d’un heure ou d’une semaine. On veut créer les opportunités que chacun·e puisse trouver sa place, résident·e·s et travailleur·euses.

On a filmé la vie de l’ehpad, ce qu’on en a perçu. On a ajouté notre vision symbolique et poétique de cette vie là, une vision qui a grandi avec les résident·e·s, qui a évolué.
On avait envie de dire dans ce film que la vieillesse, c’est formidable, que c’est une période de vie intense, de sagesse… Mais on a bien entendu les difficultés, les peurs, les douleurs. Intense oui, dans tous les sens.

Notre intention était de laisser au maximum l’espace à l’auto organisation et à l’autonomie. Une prise d’espace, d’où ont jailli des mots, des gestes, des danses, des manières d’être en relation, auxquelles on n’aurait jamais pensé. Nous avons nourri une relation à l’horizontal avec les résident·e·s, cette manière de considérer l’autre comme un être de désirs et de droits, tout simplement. Et nous avons sans cesse cherché à quel endroit nous pouvions partager cette relation, avec les mémoires qui parfois flanchent et les corps qui faiblissent.

Rim : “De travailler avec vous ça a complètement changé ma manière d’envisager mon travail d’animatrice à l’Ehpad. Maintenant, je vois la poésie dans une main qui se lève, un regard qui se pose… Je le voyais pas ça avant !” Témoignage de Rim qui fait plaisir.

 

Un petit diapo non exhaustif de l’aventure :

 

L’heure de la diffusion

- Merde. C’est déjà fini.
- En même temps, si c’était pas fini je crois que je mourrais de fatigue.
- C’était intense…
- J’ai l’impression de revenir d’un grand voyage. Une traversée du Pacifique. Une ascension de l’Hymalaya… Heu. Attendez. J’ai dormi jusque là ? C’était un rêve ? Hein ?
- Tu sais quoi ?
- Quoi ?
- Va te coucher et on en reparle.

On est fin juillet. Plus qu’à “finaliser” (ha ha ha ! ) le montage, et “Ginette” sera fin prêt pour vivre sa vie. Enfin on espère. A qui parlera-t-il, ce film ?

On est mi octobre, c’est le moment

d’aller à l’Ehpad pour leur montrer le résultat. Youpi d’émotions :) mêlé de glaglagla.

On est mi novembre, nous voilà au cinéma !

Trop classe de voir le film sur grand écran ! Avec Yvonne, Marcel, Ginette et toute sa famille dans la salle :)

Là c’était glaglagla grave, mais grave youpi aussi.

Aller oui, cette fois on peut le dire : bon voyage “Ginette”, à toi ta propre vie !


Texte - Flore Viénot
Photos - Renaud Menoud et Flore Viénot


L’équipage artistique du film

Réalisation - les soeurs Viénot
Regard chorégraphique - Nina Harper
Costumes - Marlène Hémont
Image et montage - Flore Viénot
Lumière et régie - Jonathan Argemi

Les Ginettes - Ginette Rousselet, Claudia Flammin, Fanny Vienot, Alya Haraghi

Les soignant·es - Rim Haraghi, Frederique Diop, Laure Hatchadourian, Patrick Reynaud, Malika Wisniewski, Estelle Ayoubi, Djamila Boussafssaf, Zineb Bouattia, Akila Debbouza

Les habitant·e·s - Yvonne Frechet, Marcel Landon, Jacqueline Robert, Michelle Lis, Charles Swiateck, Suzanne Briel, Cecile Dufourd, Huguette Charvin, Huguette et Pierre Edmond Bouchacourt, Ginette Lardat, Roger Gaillard, Denise Girerd-Martin, René Alexandre, Yannick Picard, Frederique Saroyan, Charline Maumert, Cavatz Thérèse, Marie Pierre Garcia, Camille, Emma Marseille, arrière petite fille de Charline Maumert, Frederic Dubois, Jean Menoud, Renaud Menoud, Alma Vienot Menoud, Nina Harper, Nour Vienot Menoud, Nathan Bourgui

Les Violonistes - Manel Haraghi

 
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